Jour 40

Tafilalet à la Méditerranée

La nuit se fend par les appels à la prière des mosquées des villages au pied de la montagne qui se répondent comme d’un grand écho.
Nous savourons la traversée du piémont sud des Ouled Daoude Sranine Kebtana.
Les labours des sangliers appelés ici « ilf »sont proches du village. Ils soulèvent de grosses pierres, la terre rouge est légère.
La piste de terre s’élève régulièrement et Brahim choisit un ancien chemin muletier en remontant un oued vers le tizi qui franchit la montagne de Kebtana.
A la dernière traversée nous avons croisé un berger, il avait détourné son troupeau pour venir nous dire bonjour. Il était accompagné d’une magnifique chienne « sloughi ». Chien réputé chez les bergers dans cette région. Nomé ici en Tachleuéte « Beughr-Hoche », le lévrier Marocain peint atteindre des pointes de plus de cinquante kilomètres à l’heure.
Dans la montée au col, Addi s’affaire avec une énorme pierre à casser la tête d’un palmier nain « Doum », avec lequel des artisans fabriquent des paniers, des chouaris pour les ânes et des boites à verres pour les nomades du Jbel Saghro, que nous utilisons toujours dans nos randonnées.
Après avoir cassé la tête du « Tig’nad» Addi tire quelques tiges nouvelles et cherche celles avec une base blanche « jjmaghr » comme une feuille de choux qu’il croque avec joie. Les enfants bergers et bergères nomades du Jbel Saghro peuvent partir une journée avec le troupeau les poches vides, ne manger que cela, et revenir le soir sans avoir faim. A peine sucré et légèrement aigre.
Le sentier étroit et un peu raide s’élève entre les touffes de romarins et de lavandes géantes, des arbustes. Addi doit encourager les dromadaires pour passer les virages et marches naturelles en leur parlant avec entrain et des cris saccadés.
Nous arrivons au col, le tizîn « Tadaghdot » (col de la sourde), altitude quatre cent vingt mètres. Nous franchissons la ligne de partage des eaux du Jbel Kebtana.
Très belle vue embrumée sur le sud et la Moulouya et ses chaînes de montagnes au sud que nous apercevons à peine d’où nous sommes venus il y a deux jours. Au Nord nous distinguons la lagune à l’Est de Nador et le liserés bleu foncé de la mer, tant rêvé depuis de longs jours.
La descente nous offre une terrain végétal nouveau, très Méditerranéen, normal nous y sommes ! La terre rouge, des plantes nouvelles que nous n’avons pas encore vue. Nous découvrons un « Lycium » avec ses baies rouges, et un type de ruche particulière dans une cavité naturelle au sol, peut-être l’abeille rouge sauvage ?
L’odeur est même douce.
Les premières fermes se profilent, terrains bordés d’agaves. Les maisons construites en pierres de plein pied, badigeonnées d’une couche de chaud à l’intérieur d’une grande coure donnant la lumière dans les pièces. Les chiens sont attachés, devant la porte de la maison. Aucune barrière entre les propriétés et les cultures. Chacun sait où il habite !
Nous cherchons un lieu pour le bivouac un peu isolé des maisons, des cultures et des oliviers pour ne pas froisser nos voisins avec les dromadaires tentés d’aller goûter quelques pointes de branches encore garnies d’olives bien luisantes.
Un homme sur le toit de sa maison nous regarde passer, de loin nous lui faisons signe si possible de nous arrêter sur un promontoire non cultivé. Il nous répond de baraquer les chameaux.
Nous débattons les bagages, déjà l’homme arrive avec son fils de cinq ans et deux pains chauds sortants du four emballés dans un tissus rouge.
Vers seize heures trente, Mohamed revient avec un plateau garni, c’est le goûter avec la spécialité de la région du Nord « L’heu-hach-chaa ». Sorte de galette de semoule que l’on trouve partout au Maroc dans les cafés populaires le matin. Celle-ci est encore bien chaude et façonnée avec de l’huile d’olive, croustillante. Une théière toute neuve et de beaux verres bleutés. Le tout recouvert d’un tissus.
Quelle délicatesse pour les voyageurs que nous sommes. Bénédicte et Nicolas n’en reviennent pas de cette gentillesse, tradition remplie d’humanité et de générosité. Nous mêmes toute l’équipe, sommes touchés par cette bonté du cœur. Humbdoullillah.
Le lieu du douar s’appelle Bourikh-bach, nous sommes encore à l’altitude de deux cent trente mètres.
Dès l’heure du Magréb, au coucher de soleil, tous les enfants venus découvrir de près les dromadaires et faire un petit tour avec Addi,
rentrent chez eux. Les aboiements des chiens nous rappellent que nous avons des voisins.