Jour 17

Tafilalet à la Méditerranée

La nuit fut enveloppée de rosée, le sommeil profond et réparateur.

Brahim m’apporte un petit seau d’eau chaude, le bivouac est encore endormi. J’aime cette atmosphère de fin de nuit, de renouveau indéfiniment reconduit. Moments de recueillements et d’éveils.

La journée démarre avec le pain chauffé dans la poêle. Les différentes théières versent leurs liquides précieux d’un verre à l’autre. Celle-ci thé menthe sucrée, celle-là thé sucré sans menthe, la troisième thé menthe non sucré est la mienne. C’est Addi qui les prépare ce matin.

Les lampes s’allument dans les trois petites tentes après la psalmodie de Brahim.

Avec joie je retrouve l’équipe des voyageurs en pleine forme, les visages déjà basanés par le soleil quotidien. Chacun plie ses affaires et range son sac, donne un coup de main pour rouler sa tente.

Les garçons Brahim et Addi effectuent leur petit déjeuner dès leur prière finie. Timothée, Nicolas, Bénédicte et Zineb se glissent à leur tour dans la tente « cuisine » à l’abri de la brise fraîche matinale et chauffée par le gaz qui brûle sa flamme bleue. Je déjeune avec chacun, l’occasion de se retrouver, raconter quelques nouvelles de la caravane.

Les dromadaires sont en pleine forme. Brahim m’apprend qu’àprès les quatre premiers jours il y avait du pâturage dans les différents oueds et les chameaux ont pu s’alimenter avec une base naturelle de touffes d’herbes et le complément d’orge porté par la caravane. Les « voyageurs » sont également en pleine forme, heureux de cette première partie. Ils ont aimé les lieux des bivouacs, la variété des paysages.

La pluie est également tombée presque vingt-quatre heures comme à Ouarzazate et au sud de l’Atlas. Ils sont restés sous la bâche toute la journée à lire, écrire se reposer. Personne n’a été mouillé malgré la pose tardive des bâches après les premières grosses gouttes et le vent vers deux heures du matin.

Chacun aide comme il peut les chameliers à charger les chameaux, amenant une couverture, un tapis, un sac, une bouteille de gaz, tenant le double panier le temps que les bagages s’équilibrent de chaque côté. Il faut une bonne heure chaque matin pour bâter les chameaux.

Zineb a mit son chapeau de paille sur la tête, il est huit heures quarante et la caravane démarre. Brahim suit un petit sentier qui serpente dans un vallon rejoignant un puits ancien où un seau fabriqué avec un morceau de pneux est accroché à une corde passée dans une poulie. C’est là qu’hier Addi a remplit deux bidons d’eau et fait boire les chameaux.

Nous découvrons le village Arabe de L’héch. Un minibus jaune emmène les enfants du village à l’école comme pour tant de villages isolés au Maroc. Quel progrès, facilitant l’apprentissage vers les centres scolaires, et ramenant les enfants dans l’après-midi où la soirée.

Nous traversons le nouveau village bâti de chaque côté du passage. L’ancien village en ruine était construit sur une colline juste à côté.

A la sortie du village deux hommes nous attendent au bord du chemin et nous salue très fraternellement. L’un d’eux demande à sa fille de nous amener des dattes. Brahim arrête les dromadaires. La jeune fille revient rapidement avec un plat ancien en porcelaine « taouz » garnit de deux sortes de dattes, les unes très grosses et charnues, les autres petites à la chaire dense. Devant la caravane la jeune fille effectue une vidéo avec son père et probablement un oncle, puis la famille arrive et je lui propose de les photographier avec son téléphone, elle est ravie.

Les chameaux viennent très rarement ici, voir jamais.

Nous remontons l’oued Bouanane, entre ses falaises. Nous imaginons voir l’oued Dràa dans sa partie haute. L’ancien village de Ben Yatti est assez dépeuplé. Au moment où Zineb fait cette remarque un homme d’une maison sort et lui adresse la parole. Il reconnaît Zineb déjà passée dans son village en 2013 avec un groupe Suisse de Françoise. L’homme leur avait même offert des dattes. Il nous invite également. La journée est longue et nous venons juste de démarrer, une prochaine fois Inchallah !

Nous traversons les jardins et la rivière pour remonter en suivant un sentier d’ânes rive gauche au long d’une palmeraie à moitié abandonnée. L’ambiance est magnifique. Nous suivons le défilé de la gorge et nous dépassons le douar Aourighr desservit par une nouvelle petite route qui n’existait pas à notre dernier passage. Il est agréable de marcher dans les jardins de luzerne bien verte. Régulièrement nous traversons l’oued cherchant un passage un peu pierreux pour éviter l’accumulation de boue suite à la dernière pluie. Les chameaux s’enfonceraient au risque de glisser avec leurs charges.

Les falaises se resserrent, nous retrouvons Taghria (la gorge). A la sortie du défilén la montagne semble disparaître et nous ouvre sa plaine. Quelques maisons de terre précaires avec des enclos de branches pour les moutons et chèvres, un hameau de bergers. Après la dernière maison, je m’arrête pour expliquer à Nicolas et Timothée avec qui je marche que l’ensemble de petites constructions représentent des azibs miniatures, qui sont en fait la représentation de bergeries effectuées par des enfants, un travail de patience. Comme nous sommes arrêtés une femme m’interpelle de loin, je pensais qu’elle était choquée par Nicolas qui photographie cette grande maquette. C’est pour que je vienne chercher un pain qu’elle nous offre, encore brûlant sortant du four à pain. Le lieu est très pauvre, la générosité de cette dame est grande. Quelle gentillesse pour les voyageurs que nous sommes.

Il nous faudra plus de trente minutes pour rattraper la caravane que l’on aperçoit déjà très loin dans la plaine au delà de l’oued qu’ils ont à nouveau traversé.

Nous suivons une série de tumulus rive gauche qui indiquent l’entrée du passage de la gorge d’où nous sortons. Ces tumulus (Tat conique de grosses pierres pouvant atteindre un mètre et demi de hauteur et trois mètres de diamètre) pour indiquer aux voyageurs et aux caravanes le passage partant vers le sud. Ces tumulus d’une époque très ancienne étaient souvent construits par séries de trois. Là j’en ai compté cinq. Il y a plusieurs types de tumulus, parfois des sépultures de différents degrés avec une ouverture et une petite chambre très basse. Parfois ces sépultures sont dissimulées au fond d’un grand cône de pierres qui forme le tumulus. Dans certains cas ces tumulus sont des sites d’invocations aux Dieux où Esprits protecteurs, situés souvent à l’entrée d’une gorge ou d’une immense plaine, passage d’un col. La protection demandée est pour être protégé contre les dangers d’attaques des brigands où d’animaux sauvages. Cette époque ancienne pouvant remonter jusqu’à plusieurs milliers d’années.

Dans notre cas ces tumulus sont des indications de repères pour les caravanes qui en été marchaient la nuit car trop chaud la journée. Ces repères se remarquaient en contre jour dans le ciel lumineux de la nuit.

En contrebas à un kilomètre les premières maisons du douar Taguitount.

Brahim arrête la caravane derrière quelques jujubiers, il est quatorze heures trente.

Montage des tentes.

Zineb prépare le déjeuner chaud aujourd’hui dans le four, s’il vous plaît ! Addi s’affaire aux différents thés. Bien agréable et appréciés par tous.

Une heure de sieste où chacune et chacun retrouve son espace de repos, lecture, écriture.

Le ciel est très chargé de nuages très compacts blancs et gris et laisse des espaces bleus qui s’étirent à l’horizontal et qui rougissent au soleil couchant. Vent du Nord bien froid.

Ce soir après une soupe de légumes coupés en morceaux Zineb a concocté un plat de coings à la viande de bœuf. Waw un délice ! Tisanes aux multiples herbes et plantes.

Il est vingt heures trente, une longue nuit s’annonce.