Jour 4
Au cœur de l’Atlas Oriental
Nous apprécions le départ animé des deux troupeaux de chèvres qui grimpent sur les vires en broutant des touffes de thyms, romarins et autres plantes épineuses. Les bêtes ici ne sont pas gardées la journée, il n’y a pas le danger du chacal dans cette vallée nous a indiqué Hadda hier. Les chèvres rentrent le soir et se divisent pour rejoindre leur campement respectif.
Nous partageons un moment très agréable avec la famille nomade.
Notre départ s’effectue vers 8 heures 30 mn.
Nous empruntons une piste qui monte assez raide et traverse à flanc de montagne.
Quatre ou cinq emplacements de campements de nomades Ait Yhza accrochés au pieds des pentes de terre rouge et falaises où subsistent de magnifiques thuyas.
A la sortie d’une gorge nous sommes interpellés par une jeune femme dont sa tête dépasse à peine de sa tente, qui nous invite à boire un thé.
Il s’agit d’une tribu de nomades Ait Malghade n’Rich des Ait Haddidou.
Cette tente est magnifique, en excellent état. Nous remarquons les détails du travail, la qualité du filage de la laine, les points d’attaches, la couture très soignée des bandes de tissages de 60 cm de largeur sur la longueur de la tente avec un point différent que celui effectué par les Ait Atta et d’autres tribus.
Le four qui chauffe la bouilloire est également sophistiqué, munis d’un trépied en terre incorporé, permettant d’y poser une petite théière sur le haut du foyer. Une petite cheminée est conçue pour optimiser le tirage et la chauffe.
Zineb demande d’où vient l’eau. Aïcha lui répond, de derrière la montagne. Elle part le matin tôt avec ses 2 ânes, ses 2 petits enfants, dont Mohamed le plus jeune fixé dans le dos avec un tissus. Elle revient le soir juste avant le coucher du soleil. Zineb lui demande pourquoi n’installent-ils pas leur tente plus proche de la source. « il y a très peu de pâturage là-bas », lui répond-elle. Aïcha est courageuse, 23 ans, souriante, très heureuse de sa vie. Ils ont une cinquantaine de chèvres et une centaine de brebis. Son mari est parti ce matin les conduire vers un pâturage meilleur derrière une autre montagne.
Aïcha sort une petite couverture colorée tissée qui contient deux galettes encore tièdes. D’un bidon elle fait couler du beurre de chèvres frais dont elle extrait délicatement l’eau du beurre. Ce beurre très blanc est à peine parfumé à la chèvre. Je m’en régale ainsi que Brahim et Lahcen qui nous rejoignent rapidement avec les dromadaires chargés.
Après cette halte généreuse, nous reprenons une trace dans le fond d’un ruisseau à sec aujourd’hui et qui s’écoule à la fonte des neiges. Nous accédons à un plateau couvert de touffes d’herbes jaunies, grillées jusqu’à la racine comme au mois d’octobre par les premières gelées. Il n’a pas plu cet été.
Nous arrivons au col, 2950 mètres d’altitude, le ciel est déjà gris, quelques gouttes de pluie nous accueillent. Nous installons le bivouac sur un replat un peu plus bas. Il est 14 heures.
Nous montons rapidement les tentes recouvertes de bâches plastiques juste avant que la pluie se déverse. 4 heures de marche.
M. Peyron a rassemblé des informations historiques passionnantes sur les lieux et tribus que nous traversons. Je vous les partage : « L’expansion des Ayt Haddidou, que nous avions laissés dans FImdghas au XIe siècle, sont appelés à jouer un rôle prépondérant dans la mise en place définitive des populations. Leur expansionnisme, aiguillonné par des considérations d’ordre pastoral et démographique, en rivalité aussi avec la confédération des Ayt ‘Atta dont ils seraient eux-mêmes issus, va s’effectuer au dépens de deux autres ensembles : les Imelwân, mentionnés aux XIIe et XVe siècles comme implantés au Sud du Jbel el ‘Ayyachi, dans le Ziz, le Gheris, l’Assif Melloul et l’Imdghas ; de même que certains éléments Ayt Idrassen, dont les Ayt ‘Ayyah, déjà signalés dans les mêmes parages. Dans le cas des premiers, cela fut une affaire de supplantation, voire d’assimilation de ces Imelwân, population « à peau plutôt noire, mais non négroïde », restés sur place jusqu’à nos jours, souvent comme portefaix et colporteurs. Parfois une localité porte-t-elle leur nom ; parfois constituent-ils la population entière d’un ksar — comme Idalliwn, entre Ayt Ya ‘qoub et Zawiya Sidi Hamza. C’est précisément dans cette dernière région que les Ayt Haddidou vont mener leur action à partir de 1 530 contre les Ayt ‘Ayyach, qu’ils chasseront du ksar des Ayt Ya ‘qoub. Les Ayt ‘Ayyach passent alors les cols pour se fixer le long de Fanzegmir ; certains réussissent à se maintenir en montagne à Ta’arart. Sans doute est-ce à la même époque que des villageois de Tabou ‘arbit, contraints à quitter leur ksar du Haut Ziz par les Ayt Haddidou, sont venus s’installer dans les gorges entre le Maasker et le Jbel el ‘Ayyachi, où on les trouve aujourd’hui sous l’appellation d’Ayt Bou ‘Arbi. A l’occasion de ce début de la poussée des Ayt Haddidou. il est tout à fait évident que ces événements contribuèrent indirectement à la fondation d’une zawiya importante. »
Notre caravane traversera plusieurs de ces vallées et villages décrits. Quelle richesse historique sur cet itinéraire qui nous fait remonter le temps où ces populations avaient la vie et la survie rude. La fierté apparaît encore chez ces Amazirs, populations Berbère du haut Atlas et de l’Anti-Atlas.