Jour 3

Au cœur de l’Atlas Oriental

Nous quittons l’auberge à huit heures pour effectuer un détour et flâner dans le souk de Zaouït. Il est trop tôt pour voir l’effervescence du souk, mais le bon moment pour vivre le souk se mettre en place. Un commerçant arrive avec un mulet chargé de cartons, tissus roulés et piquets de bois pour confectionner une tente. Des camionnettes aux galeries débordantes et un triporteur très chargé roulent au ralentit.
Nous avons rendez-vous avec Brahim et les chameaux dans une heure en bordure du souk.
J’aime ces souks de montagnes dont l’ambiance me rappel ce Maroc profond que j’ai connu il y a quarante ans.
L’arrivée des montagnards, des semi-nomades sur leurs beaux mulets luisants venant se ravitailler. Les villageois des vallées proches trottinent sur des mulets et des ânes. Ils s’arrêtent au parking des animaux où quelques maréchaux ferrants proposent leurs services pour changer les fers de leurs montures. Chacun a ses habitudes.
Des hommes et des adolescents entrent au souk à pied avec un sac plié sous le bras.
Un camion de paille multipliant trois fois sa charge maximum roule à petite vitesse, il se gare à l’extérieur du souk. Comment a-t-il pu arriver sur la petite route cahoteuse de Zaouït ?
Trois tentes – restaurants ambulants sont installés les premiers, tables et bancs sont disposés. Les voyageurs venus de loin peuvent se restaurer. La fumée épaisse sort sous un bidon en tôle où chauffe de l’eau. Une tente est déjà pleine d’hommes, les premiers arrivants, sûrement des vendeurs boivent déjà leur thé en mangeant des baignés fraîchement cuits dans une grande poile noircit par une femme qui tourne le dos à cette assemblée. Sur une table en planches sont posés des morceaux de viande fraîches qui attendent d’être cuisinés, une dizaine d’oignons roses déjà épluchés.
Un commerçant spécialiste de produits chimiques, poudres, flacons contre les différents insectes, appel dans un micro branché sur une batterie, sa voix presque incompréhensible, présente ses produits miracles. Les marchands de légumes et de vêtements ne sont pas encore arrivés.
Zineb achète un pain de savon et de l’aïl.
Nous apercevons les bosses des deux dromadaires qui dépassent et avancent au-dessus du mur d’enceinte. Nous rejoignons Brahim qui arrive juste. Les salutations sont rapides car il faut charger les sacs des voyageurs. Il est toujours délicat qu’une caravane de chameaux rejoigne le cœur d’un village important, les enfants accourent en criant, parfois viennent avec des vélos et les chameaux risquent de s’emballer et de se blesser.
Le sentier monte assez raide pour sortir de la cuvette où se trouve le souk. Les quatre autres chameaux nous attendent juste au bord du plateau.
Nous suivons maintenant un chemin plus large, nous croisons des mulets qui rejoignent le souk. Le ciel est légèrement voilé.
Nous traversons des collines boisées de tuyas, en suivant le piémont de la montagne de Tawenza sur un excellent sentier.
Nous découvrons le village de « Ennd » aux habitats dispersés. L’aménagement d’une source captée à 4 Km en amont dans la gorge, permet la culture de magnifiques jardins où poussent céréales, carrés d’oignons, noyers, figuiers, amandiers et des pommiers croulants de fruits.
Nous atteignons le cœur du village ancien par des ruelles étroites. Les parents amènent leurs jeunes enfants, joyeux de découvrir une caravane de chameaux traversant leur village.
Nous remontons l’oued Tabja, bordé de falaises orangées et verticales, rappelant les gorges du M’goun dans la partie étroite. Zineb est perplexe que nous puissions traverser tellement les falaises se rejoignent. Pour la deuxième fois notre caravane remonte cette gorge.
Le cheminement s’effectue par le lit de la rivière. En cas d’orage nous ne nous y aventurerions pas.
A l’entrée rive gauche de cette gorge, sur la hauteur d’un promontoire de 50 mètres, la ruine d’un ksar de garde se découpe sur le ciel.
Construit en pierres et en pisé, des gardiens soldats Ait Haddidou surveillaient autrefois l’entrée des tribus sahariennes qui dans les périodes de sécheresses venaient piller le bétail des nomades installés sur le versant sud du Jbel Ayachi.
Nous cherchons un emplacement de bivouac pour accueillir les chameaux et l’équipe dans cette gorge. Un replat un peu en hauteur est nécessaire pour sécuriser le bivouac en cas d’orage. Les traces sur le pied des falaises montrent que le niveau de l’eau peut monter de dix mètres. Nous continuons à marcher dans le lit de la rivière qui s’étale d’une falaise à l’autre. Quelques gouttes de pluie nous annoncent l’orage. Un vent frais arrive puis un coup de tonnerre et des grosses gouttes nous trempent aussitôt. Bénédicte, Nicolas et Brahim enfilent leurs vestes de pluie. Zineb et moi ne l’avons pas prise ce matin ! Zineb part seule devant le groupe à grandes enjambées, bientôt nous ne l’apercevons plus. Nous marcherons plus d’une heure 30 mn sans trouver d’espace sécurisé pour installer notre bivouac.
Dans un virage de l’oued où les falaises sont resserrées nous apercevons une grande tente de laine noire qui domine la rivière. Zineb nous fait signe de venir. La femme de la tente à inviter Zineb à s’abriter.
Nous sommes accueillis au bord de l’oued par Yahia, le grand fils berger, un peu timide.
L’accès à la tente est raide et glissant.
Hadda la maman s’active à côté d’un feu dont la fumée s’échappe des bords de la tente. Nous nous réchauffons. Deux fillettes Hayat et Youssra très souriantes comme leur maman, parlent avec Zineb.
Une bouilloire chante sur le feu. Il est 15 heures et nous avons faim. Nous apprécions le thé servit par Hadda. Une salade est préparée par Zineb et Bénédicte.
Une autre femme de la tente voisine nous rejoint, elle aussi ravis de parler. Cette dame n’est pas d’accord d’envoyer sa fille à l’école. Hadda elle souhaite que ses deux filles rejoignent l’école dans un mois, car bientôt ils effectueront la transhumance retour pour installer leur campement à côté de Rich. Zineb encourage Hadda et essaie de convaincre la femme plus âgée que sa fille s’instruise à l’école. La discussion est animée !
Nos chameaux sont baraqués au bord de l’oued, et les garçons commencent à monter sacs et matelas sous la grande tente.
Après notre repas une éclaircie vient colorer le ciel. Finalement notre tente cuisine est montée en dégageant quelques pierres sur un replat proche de l’oued et nous arrivons à installer les deux autres tentes.
Nous avons parcouru aujourd’hui environ 22 km en 5 heures 30 mn de marche, altitude 2030 mètres.
Le fils de la tente nous amène un fagot de bois de tuyas fendu, qui s’allume rapidement et dégage une odeur forte parfumée et agréable.
Brahim prépare les brochettes, Bendiche amène une grande marmite de soupe. Nous partageons notre repas avec la famille qui nous a accueillis il y a deux heures sous leur tente. Le mari de Hadda arrive avec un grand troupeau de chèvres, son fils et sa fille le rejoigne pour l’aider à faire avancer les chèvres. Les chevreaux appellent leurs mères, certaines arrivent en courant. Parfois le chevreau fonce pour attraper brusquement les tétines de sa mère. Ce brouhaha qui résonne entre les falaises nous rappelle l’arrivée des troupeaux pendant la transhumance.
Nous nous endormons sous les gouttes de pluies qui reviennent avec la nuit noire.