Transhumance 2023

Une des dernières – Jour 6

Nous sommes toujours en attente de savoir si les nomades et bergers peuvent s’installer sur leurs pâturages d’été. La date officielle étant le 1er juin, l’ouverture réelle est souvent un, deux ou trois jours avant.
L’amende affligée pour les nomades qui s’installeraient avant la date d’ouverture est quantifiée : Pour les ânes, mulets, dromadaires, vaches : 50 dirhams par tête et par jour. Chèvre, mouton : 5 dirhams.
Il y a 4 ans un nomade Aït Atta s’est installé un jour avant les autres, il a dû s’acquitter d’une amende 2.000, dhs chez le Caïd de N’kob dont il dépend.
Lorsqu’un groupe important de nomades où de bergers s’aventurent la veille où l’avant-veille, et que les autres groupes les suivent, et les amendes ne sont pas appliquées car pas gérable !
Ce matin nous décidons de marcher au cœur des jardins de Bougmez, longeant les sentiers d’accès aux parcelles de cultures. Une grande joie de marcher au long de ces séguias d’irrigations fleuries, au cœur de la chlorophylle abondante des jardins. Quel contraste après les cailloux et la rudesse du versant sud de l’Atlas et la traversée des hauts plateaux à 3000 mètres. Nous rejoignons le village d’Ighirine par l’autre rive des jardins.
Vers treize heures tout semble se préciser, le téléphone sonne. L’ouverture des pâturages s’effectuerait peut-être demain ?
La famille nomade Ben Youssef Mohamed restée au lac Izourar a décidé de rejoindre ce soir la source d’Ikkis au pied du col pour franchir la frontière des pâturages au tizin Tighist demain matin.
Nous choisissons de les retrouver ce soir au bivouac d’Ikkis.
Nos sacs sont vites fermés avant de prendre le repas d’une délicieuse omelette aux œufs « beldi » et aux oignons préparée par l’épouse de Mimoun.
Les trois dromadaires et le mulet sont chargés de nos sacs et nous marchons au fond du vallon dont la pente Ouest s’élève vers l’Azourki. Le ciel est très chargé et les nuages noirs et gris enveloppent les crêtes de l’Azourki, les premières gouttes de pluie rebondissent sur les bâches installées sur les bagages dès le chargement. Les nuages se forment et se croisent, quelques éclaircies se glissent entre les masses nuageuses qui évoluent rapidement. Nous sortons nos vestes car la pluie s’intensifie, l’eau s’écoule sur le sol et marcher devient très vite boueux et glissant. J’aperçois les dromadaires transportant nos bagages qui viennent d’arriver à la source d’Ikkis et qui boivent dans l’abreuvoir. La caravane des nomades vient de nous rejoindre, Mohamed préfère continuer quatre cents mètres plus loin au pied des pentes pour démarrer rapidement demain avec son troupeau de chèvres.
La caravane des chameaux du matériel et des tentes partie du lac Izourar en même temps que la famille arrive également. Les emplacements pour installer les tentes sont limités dans ces pentes au pied du col, nous préférons utiliser deux terrasses proches. Le groupe a froid et allume quelques touffes d’Ifssi qui fument longtemps avant de produire quelques flammes.
Les chameliers baraquent les dromadaires et chacun peut donner un coup de main comme il peut pour alléger le dur travail du déchargement sous la pluie battante. Les bagages sont vites regroupés, les sacs un endroit, les matelas un autre et une bâche plastique les recouvre pour les protéger de la pluie qui s’intensifie. La première tente montée est la cuisine où l’on rassemble à côté les sacs de nourriture, la cantine des gamelles, les fourneaux et le four sont vissés sur les embouts des bouteilles de gaz. Je pars avec trois bidons vide les remplir d’eau à la source en dessous, le sol est glissant. En revenant je trouve la tente nomade presque montée et une grande bâche plastique est tendue dessus. Nous glissons les sacs personnels et matelas, et chacun s’engouffre tremper sous la tente. Je rejoins la tente cuisine, deux bouilloires chantent déjà et la vapeur remplie la tente, il fait bien froid dehors. La pluie ne ralentie pas, nous sommes tous ruisselents car l’arrivée sous la pluie, le déchargement, le montage des deux grandes tentes devait se faire en courant pour éviter que tout soit trempé. Mohamed prépare la soupe, Brahim un plat de légumes qui sont cuits à 19 heures. Tout le groupe est ravis de boire la soupe fumante en mangeant des dattes avec du pain réchauffé dans le four. Bravo à toute l’équipe qui s’est vraiment battue contre les éléments.
En faisant le tour des tentes pour vérifier que les rigoles aux pieds des bâches s’écoulent convenablement je remarque deux dromadaires qui tremblent intensément, le jeune « abayére » et le « grand blanc », tous les deux venant du désert semble assez choqués par cette froide humidité ! Je demande à Brahim et Iddir de leur glisser les « capes » taillées avec la forme des bosses que nous avons confectionné avant le départ en prévision et risque des pluies froides où de la neige possible à cette époque pour le franchissant les cols proches de 3000 mètres d’altitude.
4 heures 30 mn de marche, altitude 2430 mètres.
Le repas est pris rapidement. La pluie ralentie et une percée dans les nuages laisse entrevoir la pente blanchie juste deux cents mètres au-dessus de notre bivouac. Cela confirme ce froid qui nous transperce.
Nous profitons pour monter une des trois tentes igloo pour les deux anciens, Romain et Yvette (81 et 78 ans) qui apprécient de se coucher rapidement.
Le reste du groupe dormira dans la grande tente nomade.
Ito et Ahmed arrivent seulement maintenant à la tombée de la nuit avec le troupeau des chèvres. Je suis attristé de voir Ito avec un simple morceau de plastique sur les épaules qui ne la protège vraiment pas, elle marche péniblement.
Nous nous endormons sous la pluie.