Transhumance 2025 – RETOUR
Jour 6
Le ciel est parfaitement dégagé, assis au coin du feu sirotant son thé, Lahcein décide que nous restions aujourd’hui sur ce bivouac pour que chèvres et dromadaires pâturent les pousses nouvelles. Il pense que plus bas le pâturage est maigre, et encombré par les troupeaux des M’gouns qui s’arrêtent dans leurs « Ifri » (grottes – abris creusés) sur les rives de l’oued Amjdig. Siham est assise dans l’axe de la fumée les brindilles sont humides le feu ne brule pas, T’lôo me tend un bol de soupe, Iza termine son bout de pain dans le bol d’huile. Une chèvre les quatre pattes regroupées sur le rebord du mur espère peut-être un bout de pain, deux chamelles pointent leur tête au-dessus, le moment vécu est exceptionnel. Petit déjeuner au soleil.
Puisque nous restons au même bivouac, pas de tentes à plier, pas de sacs et « chouaris » (doubles paniers pour les chameaux) à porter pour les chameliers, c’est aussi un jour de pose pour l’équipe.
Je propose d’effectuer le sommet qui domine le bivouac et redescendre derrière dans une vallée et gorge, retour approximatif vers dix-sept heures. Trois voyageurs m’accompagnent, nous prenons un morceau de pain, quelques fruits secs, la cape de pluie, une veste et nous voilà partis vers ce sommet.
Monique préfère rester avec Ali se reposer et remonter tranquillement au col pour se délecter de la vue.
Nous dépassons un air de bivouac de nomades M’goun, remplis de crottes de chèvres, les pousses d’herbes bien vertes pointent le sol. Nous rejoignons la crête, le sol détrempé est très agréable à marcher, la semelle des chaussures mord la terre. Au sommet de cette colline 3250 mètres, vue panoramique sur le M’goun, l’Azourki, et le premier plissement sud de l’Atlas. Sur l’horizon blanc – gris au sud c’est l’Anti-Atlas, le Jbel Saghro se dessine, le Bougafeur dépasse fièrement les crêtes enchevêtrées. Ce sommet mythique des Ait Atta qui se sont battus contre les Français en 1933 avec peu de moyens durant des mois. Hommes et femmes ont tenu un siège au sommet de cette montagne tabulaire durant des semaines. Leurs armes, des cailloux jetés et lancés avec des frondes du haut des falaises sur les Français, qui n’arrivaient pas à monter les falaises abruptes, jusqu’à ce que l’armée envoie des avions mitrailler du ciel. Alors les Aït Atta se rendirent, leur vaillant chef Assou Oubaaslam grande figure de la résistance berbère ayant commandé avec bravoure les cinq confédérations de cette grande tribus guerrière. Il faut lire « Un homme à la cape rouge, capitaine de Bournazel » qui retrace cette fière épopée avec une très belle écriture.
Nous entamons notre descente sur la croupe de la montagne arrondie mais raide. Nous sillonnons entre les touffes d’Ifssis nous frayant un cheminement, utilisant parfois quelques dizaines de mètres une sente de chèvres. Il nous faudra une heure trente pour rejoindre l’oued caillouteux Ouane-zougue que nous descendons. L’oued a coulé hier avec la pluie, un homme est passé ce matin nous voyons les traces des sabots d’un mulet et d’un âne laissant les traces de son passage entre les cailloux dans la boue laissée par l’oued de l’orage d’hier. Les pentes se resserrent et une gorge se forme, étroite, nommée Imi’n Taghia Ouane-zougue. Les falaises deviennent élancées, le calcaire oxydé ocre – orangé est magnifique, par endroits verticales. Au-dessus de l’oued sur trois à quatre mètres de haut la roche est grise, polie par les crues, ambiance cañon sans eau. La marche est glissante, l’argile encore mouillée sur les roches très lisses demande vigilance. Un rayon de soleil entre deux nuages d’un jeu de lumières vient colorer les falaises, quel tableau ! J’étais passé dans cette gorge il y a 25 ans et j’avais oublié cette beauté.
L’eau apparaît, nous suivons encore la gorge qui s’élargit jusqu’à croiser l’oued caillouteux de Tam’goumart que nous remontons durant une heure. Joie de retrouver le bivouac, après une très belle journée imprévue, sept heures de marche. Il est seize heures, la salade nous attend, avec une grande théière de thé et une deuxième de thym.
Une bouilloire d’eau chauffe, nous apprécions cette délicieuse douche.