Igoudar Forteresses de l’Anti-Atlas
Jour 10
Ascension du Jbel El Kest
Réveil à 5 heures, il a plu la nuit comme les giboulées de mars se succèdent. Le sol est trempé et les gouttes continuent de tomber.
Mohamed et Brahim ont chauffé l’eau, préparé la bouilloire de café berbère aux épices (café, poivre, thym, cannelle, laurier) qui bouillonne durant vingt minutes, thé à la menthe sucré et sans sucre, réchauffé le pain, préparé les petits sacs de pique-nique individuel où chacun pourra se ravitailler selon ses besoins durant l’ascension.
Le temps est encore trop instable pour lancer le réveil, nos voyageurs n’ont plus vingt ou trente ans pour courir la montagne sous la pluie au travers les chemins boueux et les cailloux glissants ! Nous patientons que le jour arrive. Les nuages sont très bas, quelques trouées laissent apparaître des étoiles !
A sept heure la pluie cesse, les arbres s’égouttent lentement, nous étendons une grande bâche sur le sol boueux, les chaises disposées autour des tables, le petit déjeuner est prêt, théière, café et pain chauds.
Une partie du groupe décide de ne pas traverser le Jbel El Kest et redescendre dans la vallée de Tafraout avec Brahim et effectuer le tour en 4×4. L’autre partie enfile les grosses chaussures, le sac chargé des vestes chaudes et de quelques provisions, nous remontons le sentier entre les oliviers et les amandiers. L’air est frais et chargé d’humidité, le sol est glissant, nous grimpons régulièrement sur le sentier en lacets. Au premier col joie d’apercevoir une trouée vers le sud entièrement dégagée qui laisse entrevoir les plateaux sud de Tafraout. Ballet de nuages blancs qui s’entrecroisent comme une pelote de fils de laine écrue.
Pose au premier rayon du soleil qui nous réchauffe pour retirer une veste. Brahim et Ychou aperçoivent deux mouflons qui grimpent au loin sur la crête du Jbel El Kest et se détachent sur le ciel. L’un des deux revient pour nous observer, je le devine.
Notre sentier devient plus raide, nous suivons des cairns qui indiquent le cheminement sur ces sentes de mouflons. Il faut parfois se tenir avec les mains à la falaise de granit pour progresser dans ces gros blocs de granit en escaliers.
En arrivant sur la crête sous le sommet se détache au-dessus des nuages un sommet pointu enneigé, qui domine de Taroudant sur l’Atlas occidental.
Encore cent mètres de dénivelés pour atteindre le sommet d’El Kest nommé « Afa n’Timezgadiwine » 2374 mètres (Sommet des plus hautes mosquées), ou le nom de: « Sidi Brahim ou Ali », (le saint du Jbel L’kest).
Joie d’atteindre ce sommet, la pluie d’hier à remplie d’eau une multitude de cuvettes de rochers.
Le dernier « mahrouf », (fête annuelle) qui regroupait les habitants des douars autour du Jbel L’kest a eu lieu en octobre 1956, m’a indiqué un chibani du village d’Anergui. Les hommes et femmes montaient des villages autour de cette montagne. Chaque village à tour de rôle, amenait une vache que les hommes tiraient, poussaient jusqu’au sommet, pour l’égorger et manger ensemble durant cette fête qui durait l’après-midi, la nuit et le matin. Chants, danses et repas se succédaient. Deux « Tanout ‘fi » (citernes d’eau remplies par la pluie), récupèrent encore l’eau de pluie et de fonte des neiges accumulées l’hiver.
Le plus extraordinaire au sommet du Jbel L’Kest qui domine les plaines nord jusqu’à Taroudant, et au sud les plaines Sahariennes, ce sont ces deux mosquées, construites en utilisant une faille d’érosion montée de gros murs de pierres sèches et de blocs de granit de soutiens. Haute d’un mètre soixante, longue de vingt-deux mètres, couverte par des grosses plaques de granit de plus d’un mètre de large recouvertes de terre, plus un troisième mur pour la deuxième mosquée attenante parallèle. Cette deuxième pièce tout en longueur probablement utilisée par un deuxième rang pour les femmes, légèrement plus étroit. Ces lieux de prières et d’abris font la largeur d’un mètre cinquante à peine ce qui permet aux fidèles de prier cote à cote. Un « mihrabe » creusé dans la roche permet l’emplacement de l’Imam pour conduire la prière.
Il y a dix ans en arrivant au sommet je constate un petit trou sur le sol qui était en fait le toit de cette mosquée. Je découvre alors cet espace enterré semi-construit, puis une petite porte à l’extrémité. Des abris disposés sur le versant Est pour s’abriter des intempéries, contenant plats à couscous, grandes gamelles, boîtes à verres, jarres, nattes en joncs. Le matériel pour la fête annuelle du « Mahrouf » d’il y a environ soixante-dix ans.
Nombreuses terrasses pour bivouaquer, abritées du vent par des murettes de pierres. Des centaines de personnes pouvaient se retrouver chaque année.
Ce site perché en haut du Jbel El Kest était également un lieu de refuge durant les périodes de troubles pour abriter les habitants, leurs animaux, des tribus venues des fins fonds du désert où d’ailleurs, dans des périodes de sécheresses venues piller céréales, amendes, légumes séchés, volant aussi les troupeaux. L’accès très difficile au travers les pentes raides, la falaise circulaire de ce sommet limitait l’accès à ces hommes habitués aux plaines sableuses.
Nous reprenons le cheminement en descente entre les blocs, utilisant les passages aménagés d’escaliers de roches plates empilées, permettant d’accéder aux vires et fissures. La roche est solide, un granit – gneiss lisse mais glissant. Après la pluie la terre se transforme en boue sous les semelles, il faut de la vigilance particulièrement à la descente. Le versant Nord-Ouest est beaucoup plus humide, sur les vires des bandes de terre et de végétation. Nous découvrons des traces de sabots et de crottes de mouflons, et de sangliers très haut.
Les murettes des cultures montrent l’activité agricole sur les pentes jusqu’à 2150 mètres, tous les vallons étaient exploités. Le sentier devient plus marqué, toujours des blocs de granits usés matérialisent les marches de ces accès en altitude.
La végétation est plus fournie, chaîne vert, thuya, genévriers, ciste, lavande, thym, chardon, quelques pieds d’asphodèles sur la hauteur.
Depuis une vire au bord de la falaise nous distinguons les premières maisons dispersées sur le cirque de la petite vallée d’Ait Yftane. Il reste encore deux cents mètres à nouveau d’un chemin incroyable de pierres escaliers, dans une grande fissure dans la dernière falaise. Le sentier devient plus confortable. Surpris de marcher quelques dizaines de mètres sur une piste à plat. Le 4×4 de Sanadji apparaît entre les oliviers.
Pose au petit café épicerie chez Driss, limonades et une grande théière de verveine très appréciés après six heures trente de marche, altitude 1450 mètres. Presque milles mètres de descente, bravo l’équipe des vétérans ! je sens aussi mes genoux !
Nous roulons quelques kilomètres traversant le plateau granitique des Ida ou G’nidif jusqu’à l’auberge communautaire de Tizourgane. Ce village- kasbah fortifié, construit en haut d’une colline date de huit cents ans, a été restauré puis classé au patrimoine historique national en 1995. Lieu unique entouré de dizaines de hameaux et villages fortifiés





