Sur les traces des anciennes caravanes
Jour 21
Nous surplombons l’immense baie de Sidi Kaoky, par un sentier sableux à travers la forêt clairsemée de thuyas. Des vaches de race petite à la robe noir où brun soyeux, semi sauvages, pâturent en liberté dans la forêt où sur la plage. Un peu comme les vaches des montagnes Corse.
Nous rejoignons les dunes blondes qui plongent dans l’Océan à l’extrémité du cap Sim. Le vent se lève.
Dans un balais d’élégance, les mouettes accompagnent notre caravane jusqu’au phare perché sur le plus haut de la forêt de thuyas.
Je retrouve ce phare historique avec la même fascination que la première fois il y a 30 ans. Construit par la France pour sécuriser les routes maritimes, finit d’achevé en 1917. Ce borj est fortifié pour protéger le phare car à l’époque certaines tribus n’étaient pas en accords avec ce projet.
D’une portée de 21 miles en mer (33,7 km), il fait partie des phares encore équipés des lentilles de Fresnel en verre (d’époque), disposées autour de son ampoule pour amplifier considérablement sa portée. Sa rotation est stabilisée à sa base par une machinerie impressionnante reposant sur un bac dans un bain de mercure.
Je remercie Larbi de m’avoir permit cette retrouvaille.
Les moyens d’éclairages et de communications du siècle passé étaient une véritable prouesse.
39 phares sont implantés au total le long de la côte marocaine.
Les chameaux profitent de ces 30 minutes de visite pour pâturer autour du phare. Brahim s’est endormi à l’ombre d’un genêt, Addi a trouvé un peu de réseau et téléphone à ses amis de N’kob.
Nous plongeons entre la végétation pour retrouver les dunes et entamer cette longue plage de près de 20 kilomètres.
Nous croisons quelques pêcheurs installés dans des cabanes de branchages. Un quad nous dépasse sur la plage avec une caisse fixée à l’arrière du pilote qui doit contenir sa pêche et une chambre à air de camion gonflée qui lui sert d’embarcation pour pêcher. Waw, bravo la modernité pour ces pêcheurs au métier difficile. D’autres pêcheurs nous doublent avec des petites motos chinoises à vitesses. Un pécheur solitaire que nous croisons marche à contre sens.
Larbi me racontait hier soir un souvenir d’enfance. Les pêcheurs de son village rejoignaient « Tassolt » (Essaouira en berbère, littéralement « bijoux précieux »), avec des chameaux aux « chouaris » chargés de poissons emballés dans des algues mouillées. Les mauvaises pêches c’est avec des ânes qu’ils partaient vendre leurs poissons.
Quand les vents étaient trop forts et que les pêcheurs ne pouvaient pas s’aventurer dans les rouleaux grondants avec leurs barques à rames, ces hommes de l’Océan se transformaient en bûcherons. Ils taillaient des poutres et des tasseaux dans les arbres de thuyas, qui font la beauté aujourd’hui des plafonds des maisons anciennes Souiries.
C’est sur les chameaux qu’ils transportaient ces bois taillés, sur ce même trajet longeant le rivage jusqu’à Essaouira.
Après la sortie du village de Wassen, en traversant des dalles rocheuses, on peut remarquer l’usure de ce passage par les caravanes, et le polissage par l’érosion perpendiculaire dans un couloir où le vent est presque constant.
Le vent à voilé l’horizon de poussières comme dans le désert. Nous n’apercevons pas encore Essaouira, Addi s’impatiente d’arriver. 20 km dans le sable mou c’est long.
Tardivement nous verrons en même temps le village de Diabet, l’île de Mogador et enfin Essaouira.
Nous passons l’oued L’ksébe qui vient de loin prenant sa source dans l’Atlas. J’avais peur que nous soyons bloqués par la hauteur d’eau de l’embouchure parfois creusée par l’oued en cru suivant la force des orages. Nos chameaux ne sont pas habitués à marcher dans l’eau plus de 30 cm et peuvent refuser catégoriquement d’avancer. Un espace sablonneux nous permet de passer ! J’en suis ravis.
Il nous reste un kilomètre à peine pour rejoindre l’entrée de la plage d’Essaouira. Nous devons arrêter la caravane aux premiers restaurants et loueurs de surfs. La plage est maintenant réglementée, ce qui est normal.
Il y a encore 15 ans nous arrivions sur l’extrémité de cette très longue plage jusqu’à l’entrée du port devant le restaurant « chez Jeannot ». Nous dégustions sur la terrasse ombragée de délicieuses assiettes garnies de poissons grillés avant de rejoindre Villa Maroc où nous avions été séduits par ce premier riad restauré et transformé en hôtel à Essaouira.
Arrivée majestueuse à l’entrée de la plage d’Essaouira vers 13 heures 30.
Nous sommes accueillis par France-Marie et Jean-Paul Fiorez amis de longue date, ainsi que Nora Iffa voyageuse et aventurière à vélo.
Belaid Belhaoui qui voulait nous rejoindre ce matin en milieu d’étape, partît à 6 heures 30 du matin à marché contre le vent sans chèche pour se protéger. Belaid à du faire demi-tour car trop déshydraté. Il nous rejoint quelques minutes après.
Pendant ce petit temps deux chameaux « souiris » baraqués sur la plage en attente de potentiels « touristes » pour une balade au long de la plage. A la vue de notre caravane ces deux chameaux se lèvent et à petits pas effrénés et réduits par leurs entraves se dirigent nerveux vers nos chameaux du désert. Blatérant avec leur gosier débordant et de couleur rose. Situation incompréhensible pour quelqu’un qui ne connaît pas les chameaux. Ils montrent avec leur corpulence très développée leur intention. Qui est le plus fort ?
Ils ne sont pas castrés. Leurs chameliers arrivent en courant avec un bâton déjà levé et ces deux énormes chameaux font demi-tour.
Deux chameaux qui se battent peuvent se tuer. L’instinct dominant des dromadaires non castrés est très fort.
Brahim et Addi accompagné de Nora conduisent les chameaux de notre caravane au Ranch de Diabat qui nous accueil pour la nuit.
Je termine le kilomètre restant avec mes amis jusqu’à l’entrée du port et du rempart d’Essaouira.
Ma découverte à pied du rivage de l’Océan, remonte a plus de 35 ans. Je me sens poussé à vous la partager, comme pour clore ce carnet de voyage.
Lors ce que la chaleur était trop forte et que je devais passer quelques jours à Marrakech entre 2 randonnées, et pas le temps de remonter dans l’Atlas, je venais en bus à Essaouira profiter de la fraîcheur.
J’aime cette ville piétonne d’Essaouira. A l’époque (je peux le dire aujourd’hui), les boutiques pour touristes et les cafés n’étaient pas si nombreux qu’actuellement.
Comme vous pouvez imaginer ma « tasse de thé » n’est pas de m’allonger plus de dix minutes sur la plage après avoir nagé dans les vagues.
Lors de ces escapades anciennes à Souira, en dépliant l’excellente carte Michelin, j’imagine alors qu’en 5 jours de marche je dois pouvoir rejoindre Agadir en longeant la plage.
N’étant pas venus pour cela je ne suis pas équipé. J’achète un bout de plastique pour m’y enrouler la nuit, deux pains, un kilo d’amendes, une boite de vache qui rit, quelques boites de sardines, un kilo d’oranges. Je remplis une gourde d’eau et me voilà parti mon petit sac déjà lourd. Je m’en souviens comme si c’était il y a un an. Les souvenirs ravivés par notre marche sur le rivage du cap Sim à Essaouira.
Je suis époustouflé alors par la beauté et la variété de cette côte que je découvre. Rencontres quotidiennes des pêcheurs à pied le long des plages, installés des heures sur des vires très étroites dans les falaises pêchants au bord du vide. Des bergers avec leurs brebis, des ramasseurs de moules et autres coquillages, des troupeaux de vaches en semi-liberté .
Je surprendrai même un lynx à l’affût dans les rochers dans la baie sud de Tafna, dont le vent contraire m’a permît cette joie de 3 minutes, resté immobile avant qu’il ne me repère et s’enfuit furtivement.
Cette marche de 21 jours qui se termine aujourd’hui à Essaouira me fût libératrice de l’emprisonnement du Covid. L’incertitude, l’étiolement de nos ressources durant 14 mois pour maintenir à flot ce « bateau » que sont Désert et Montagne Maroc et Dar Daif, furent épuisants bien plus que la traversée entière et à pied des différents déserts du Maroc, de Nador à la frontière sud du pays avec la Mauritanie.
Cette marche m’a libéré.
Je rentre avec l’énergie et le ressourcement pour continuer ce beau chemin.
Il me fallait produire quelque chose.
Animé aussi par ce rêve de plus de 15 ans, de réaliser ce parcours à pieds sur les chemins des grands voyageurs. C’était le moment.
Ce départ décidé moins d’une semaine avant le premier bivouac au nord de Ouarzazate.
Rien de programmé ni préparé.
Quand je propose à Brahim et Addi de m’accompagner, je vois leurs yeux pétillants de joie. Je comprends que nous pouvons partir. Brahim prend un taxi pour rejoindre N’kob où se trouvent nos chameaux en pâturage. Il ramène seul 5 chameaux en 3 jours 1/2 alors qu’il faut 5 jours de trajet.
Eux aussi hommes du désert et d’espaces, d’émotions et de challenges.
Je pensais écrire un modeste journal, trois lignes par jour et deux où trois photos postées quand le réseau le permettrait.
Vos posts et messages m’ont encouragé et inspiré à partager avec vous cette aventure au quotidien. Je me suis pris au jeu de la lecture en direct de ce que je découvre, du partage de mes ressentis et connaissances apprises au fil de ces 40 années, de la remarquable couverture du réseau internet.
Aidé par les cartes à ma disposition sur lesquelles j’ai tracé ce parcours recoupant les routes de ces anciennes caravanes.
Nous marchons à deux reprises sur les traces du Vicomte Charles de Foucauld. Lors de son voyage « reconnaissance au Maroc » réalisé en 1883-1884 à une époque où les tribus n’étaient pas pacifiées. Il s’était travesti en Juif commerçant voyageant avec le Rabin Mardochée. Il commencera son exploration de Tanger. Bravant tous les dangers il a parcouru près de 3000 kilomètres pendant 12 mois. Il franchira l’Atlas par le tizi’n Tellouet et passera à Ait Ben Haddou, rejoindra la basse vallée du Dràa. Il remontera au travers du Sous puis au long du rivage de l’Atlantique pour atteindre Mogador et le Consulat français. Il restera le temps de recevoir de l’argent de France pour continuer ce voyage en terre « Siba » (où régnait une certaine anarchie et où les tribus exerçaient leur loi). Ils rejoignaient régulièrement la communauté juive présente pratiquement dans tous les villages pour y passer la nuit. Caché sous son burnous sur les terrasses des maisons du Mellah, il notait ses observations et rédigeait des cartes. Quelle aventure aux risques considérable encourus dans son périple.
Les indications données par les personnes rencontrées au bord des chemins nous permettent d’affiner au jour le jour notre itinéraire, utilisable par nos chameaux chargés. Ce qui n’est pas évident. Dans certaines régions les arbres ont des branches épaisses très basses comme le noyer et l’arganier, et parfois impossible de contourner l’arbre à cause de murets ou de cultures. Des oueds ont creusé des rives trop raides pour qu’un dromadaire chargé puisse le franchir. Cela nous a imposé des kilomètres de grands détours.
A l’époque des caravanes les chemins étaient entretenus pour le passage des chameaux dont les convois pouvaient dépasser les cents dromadaires où mulets. Voyager seul où en petits nombres représentait des dangers à cause de ces tribus qui pillaient les petites caravanes.
J’avais prévu une trentaine d’étapes. L’énergie et la complicité avec Brahim et Addi nous ont permis de rejoindre Ouarzazate à Essaouira en 21 jours, 129 heures de marche et 571 kilomètres parcourus. Soit la moyenne de 27 km et 6 heures 15 mn par jour.
Le parcours contourne et s’enfonce dans les vallées et effectue le tour des montagnes. Un vrai labyrinthe dans les jardins de l’Ourika, au nord d’Imin’Tanout et dans le pays Haha. Des kilomètres de détours dû aux immenses fermes agricoles ou parcelles de céréales qui ont parfois englobé les anciens chemins.
Nous voulions éviter de longer les routes. Nous avons quand même dû marcher quelques kilomètres sur le macadam de petites routes qui nous ont chauffé les pieds.
En voiture il faut 8 heures et 380 km.
Nous arrivons au rempart d’Essaouira, tout proche du port à « Bab Sbah » la porte du Lion. C’est là où les caravanes venant du Sud et de l’ancien Soudan déchargeaient leurs marchandises. Transportant de l’or, des plumes précieuses d’oiseaux pour orner les coiffes de ces belles dames de Londre où Paris. La teinture de couleur pourpre (rose à rouge violacé), extraite du coquillage « weurk nouz» (en Berbère). Ce mollusque Murex provenant de l’île de Mogador fournissait Rome. Et une multitude d’autres raretés.
Les bateaux d’époques étaient chargés de ces marchandises pour longer la côte Marocaine et prendre la route de la Méditerranée où continuer au nord au long de l’Atlantique.
C’est une grande joie de fouler cette porte. Nora nous a rejoint. Mes amis m’invitent dans la foulée à une petite visite commentée de « Souira ». Quelle chance d’apprendre de nouveaux détails. Belaid m’explique qu’il y a 20 ans il peignait les vendeurs de céréales sur la place aux grains. Je me souviens aussi de toutes ces échoppes garnies, aujourd’hui transformées en cafés et petits restaurants. Nora me montrera l’ancien consulat de France où une plaque rappelle que Charles de Foucauld y est arrivé le 28 janvier 1884.
J’ai eu plaisir en cette fin de journée chargée d’émotions à déambuler dans ses ruelles animées, aux odeurs de « chbakilla » (pâtisserie du Ramadan), menthes poivrée, « fleîo » et autres herbes, fruits et légumes fraîchement ramassés et appétissants.
Le dernier croissant de lune est si amincit qu’il nous annonce la fin proche du Ramadan et les achats traditionnels pour les enfants à l’occasion de l’Aid.
Toutes ces échoppes garnies et multicolores réjouissent mon regard.
Quelle belle fin cette traversée me mêlant à cette mosaïque et à la foule « Souirie » animée par la fin de journée., arrivée Essaouira.