Sur les traces des anciennes caravanes
Jour 13
Nous sommes réveillés vers 23 heures 30 mn, par le bruit d’un véhicule à moteur diesel assez bruyant qui se gare de l’autre côté du ravin les phares dirigés vers nous. Des hommes en sortent et descendent dans le ravin dans la nuit noire pour remonter vers nous, s’éclairant d’un portable. L’un costaud le plus âgé portant une bavette noire. Il a dans sa main une louche en bois massif de plus d’un mètre de long. Ces louches utilisées dans les fêtes pour servir la sauce du couscous et attraper les légumes. Le second plus jeune est plus mince. L’homme à la louche est énervé et veut savoir ce que nous faisons là, d’où nous venons et où nous allons. Il a été alerté par un village précédent qui a vue passer une caravane avec des chameaux. Ils pensent que nous sommes des voleurs.
Il nous faudra vingt minutes pour les convaincre que nous sommes simplement des voyageurs à pied en route vers l’Océan. Il nous invite à dormir dans une maison, ne comprend pas pourquoi les garçons dorment sous la tente et moi dehors sous les nuages. En repartant l’homme plus jeune reprend dans sa main un grand gourdin en bois qu’il tenait dans son dos coincé dans sa ceinture.
Nous sommes installés proche d’un ancien cimetière probablement d’une époque où le village n’existait pas, un cimetière pour les nomades arabes.
Hier en passant devant j’ai fais le détour pour aller voir ce petit bâtiment en pierres sèches très bien monté, aux murs bien conservés, j’ai pu apercevoir à l’intérieur un trou rectangulaire d’un mètre 20 cm de profondeur.
Trou creusé par des voleurs de trésors. Hier soir j’ai fais immédiatement le liens en voyant l’homme à la louche.
Dans les temps anciens les tribus qui volaient les caravanes chargées d’or où de pièces de bronze et d’or, les cachaient souvent dans des cimetières où des lieux de sépultures, que personne ne toucherait car sacré.
Les brigands en question étaient souvent reliés à des marabouts pratiquants la magie noire et installés dans la région sud du Sous (région d’Agadir) qui conservaient dans des registres les lieux où étaient cachés ces caisses de trésors.
Il y a plus de 35 ans j’étais témoins d’un vol de ces trésors qui font rêver les gens et alimentent les conversations des longues nuits d’hiver.
J’étais venu rendre visite à mes amis nomades à Tamda (au nord de Bougmez), à 2600 mètres d’altitude où s’arrêtent les nomades Ait Atta lors de leur transhumance de printemps. Le campement de la famille Ben Youssef était installé juste derrière une colline où se trouvait un ancien cimetière. Une piste difficile passait juste au pied. J’étais avec Ami Boha en train de garder son troupeaux.
Deux jeunes « Soucis » à leur accent, sont arrivés sur cette piste difficile avec une R16 noire juste après le coucher du soleil. Ils expliquent à Ami Boha qu’ils iront demain à Bougmez et fatigués ils souhaitent passer la nuit ici. Ils ont sorti du coffre une petite bouteille de gaz, une gamelle, deux couvertures. Ami Boha leur a amené un morceau de pain « oufdighr » cuit sur les pierres et un bol de beurre de chèvres. Ils lui ont ensuite demandé des précisions sur le nom d’une montagne assez proche, puis du lieu où nous étions.
Au petit matin Ami Boha m’appel alors que je dormait encore sous sa tente nomade. A 400 mètres derrière la petite colline où se trouvait le vieux cimetière un trou rectangulaire profond de 80 cm laissait la trace de la caisse volée. Étonnant partout dans le cimetière des grains de riz. Ami Boha m’explique qu’en lançant à l’horizontal ces grains de riz ils se rassemblent et indiquent le lieu précis du trésor recherché. Effet d’électrostatique ?
Les traces de pneux de la R16 montrent qu’ils ont fait demi tour et dévalé la piste cahotante chargé de ce trésor vers Ait Mohamed. A l’époque le téléphone gsm n’existait pas.
Lors de mes traversées dans le désert et l’Atlas j’ai pu constaté plusieurs fois ce type de pillage, souvent dans des anciens cimetières parfois dans des tumulus, laissant des trous béants.
Nous nous rendormons paisiblement avec le bruit de fond du moteur diesel qui disparaît.
Cette louche de bois massif me rappelle un fait vécu. Ce post étant déjà très long, voir sur la page du site Désert et Montagne Maroc la suite, « Aranja ».
Le ciel encore couvert ce matin nous gravissons le ravins pour rejoindre le plateau. Le cheminement est compliqué car le sens des collines est perpendiculaire à notre sens de marche, n’ayant pas la carte de cette zone je ne trouve pas de chemin. Les deux bergers croisés ce matin nous confirment qu’il est mieux de rejoindre la petite route qui prend notre direction l’Ouest.
Depuis hier ces collines sont très sèches. Il n’y a pas eu de pluie depuis longtemps, les quelques « Imondis » (cultures sèches), ne font que 30 cm de haut. Nous rejoignons le bord de la grande plaine entre Chichaou et Imin’tanout. De grandes fermes, d’agrumes, abricotiers, oliviers, vignes, poussent grâce à l’arrosage venant de puits profonds. Les parcelles non irriguées sont complètement sèches. Triste ces grands oliviers desséchés.
Notre bivouac installé proche de la bourgade de Mejjat après 6 heures 30 mn de marche et 32 km.
Après une petite sieste je pars au village à 30 mn à pieds faire un plein de courses fraîches. Pain, crêpes, légumes, fruits dont des jolies fraises et du melon au parfum généreux. Un gigot d’agneau. Il faut bien se gâter un peu, les garçons marchent si bien et font leur possible pour que nous arrivions assez vite à l’Océan. Trouvé avec difficulté un sac d’orge pour les chameaux.
Je rentre avec un triporteur cahotant dont le chauffeur Mohamed bien sympathique fera un détour sur le trajet pour me montrer le départ de la piste pour demain.
Le mythe de « Tislit n ARANJA »
Aranja (en berbère du haut Atlas), est la grande louche de bois.
J’ai habité à Bougmez il y a une trentaine d’années. Lors des grandes sécheresses des processions s’effectuaient avec les enfants et adolescents garçons et filles du village.
Une grande louche de bois en noyer massif était habillée comme une fiancée, avec sa robe colorée et son foulard rouge recouvrant son visage. « Tislit’n aranja »
Cette procession offrait cette fiancée à la pluie. Effectuant le tour du village au son des tambourins et des chants des enfants, comme pour célébrer ce mariage. Frappant à la porte de chaque maison et quémandant quelques « réals » (manière ancienne de compter l’argent, unités x 20. Encore en pratique dans les campagnes).
En cette occasion était décidée une prière collective dans le village où la vallée invoquant Dieu tout puissant.
Parfois quand la sécheresse s’étendait sur tout le pays c’était une demande du souverain un vendredi précis. J’ai pu constaté que, hasard où pas, la pluie arrivait souvent après.